II
PLUS QUE DE LA LOYAUTÉ

Avec ces routes pleines d’ornières, les fenêtres et les portières de la petite voiture sans armoiries étaient couvertes de boue. On s’arrêta un court instant à l’entrée de l’arsenal de Plymouth, le temps d’identifier les passagers. Tandis que les roues tressautaient sur les pavés, Bolitho se dit que le jeune lieutenant des fusiliers responsable du poste de garde les suivait sans doute encore du regard, bouche bée.

Son séjour à Plymouth était strictement privé. Il essayait de sourire, ne serait-ce qu’à cause de la présence de son aide de camp, mais c’était trop difficile. Son arrivée n’allait pas rester ignorée très longtemps. Le fusilier marin était certainement en route vers la résidence du major-général. Amiral, Sir Richard Bolitho est ici !

Bolitho agrippa la poignée de la vitre pour examiner l’arsenal encombré, sans se rendre compte du coup d’œil que lui jetait Avery. De tous les ports de guerre anglais, Plymouth était celui qu’il connaissait le mieux. C’est là qu’il avait quitté Catherine lors de son départ pour la campagne de Maurice. Avery les accompagnait, leur première mission ensemble. Il gardait ses distances, tâtait le terrain, encore trop blessé de ce qui lui était arrivé après son passage en conseil de guerre pour faire encore confiance à son propre jugement. Comme il a changé. Peut-être avaient-ils changé tous les deux.

— Nous allons terminer à pied.

Avery tapa sur le toit et les chevaux s’arrêtèrent en piaffant.

Bolitho descendit de voiture, le vent lui fouetta le visage. Au-delà de la Tamar, les collines ondulées verdoyaient. Ce n’était qu’un fleuve, et pourtant, il le séparait de son pays, la Cornouailles. Les eaux étaient sombres et boueuses, ce qui n’était guère surprenant après les fortes pluies.

— Il se trouve par là.

Il se demanda si Avery avait remarqué qu’il était resté silencieux et renfermé pendant tout ce voyage inconfortable. Il risquait même de lui en vouloir, maintenant qu’il avait repris ses fonctions d’aide de camp, abandonnant toute chance de promotion, sans parler de commandement.

Bolitho contemplait son profil, volontaire et intelligent.

— A dire vrai, je fais un bien mauvais compagnon. Tant de choses qui ont commencé et se sont terminées ici.

Avery hocha la tête. Il pensait à son dernier passage, lorsqu’il avait vu Bolitho dire adieu à sa Catherine bien-aimée, à l’auberge du Lion d’Or. Et à ce qu’il avait lui-même ressenti lorsque leur grosse frégate, la Walkyrie, avait arboré la marque de Bolitho en tête de misaine. C’était comme une seconde naissance, la marine qui avait été à deux doigts de le rejeter l’acceptait de nouveau dans son sein.

Ils longèrent le mur. Leurs manteaux de mer dissimulaient leurs uniformes et leurs insignes de grade aux yeux de ceux qui auraient pu les guetter depuis les nombreux vaisseaux en travaux.

Avery s’en souvenait très précisément, ils s’étaient arrêtés près d’un autre bassin dans ce même chantier, et Bolitho lui avait parlé de son vieux soixante-quatorze, l’Hypérion, qui se trouvait là, réduit à l’état d’épave après avoir survécu à la plus terrible bataille qu’il ait jamais connue. Mais l’Hypérion avait eu une nouvelle vie, il était devenu une légende, et on le célébrait encore dans les ballades qui se chantaient dans les tavernes. Des chansons qui racontaient son dernier combat, lorsqu’il avait sombré en montrant la marque de Bolitho. Et cette marque flottait sans doute encore à l’endroit où il reposait, avec son équipage réduit à l’état d’ombres, les marins restés là où ils étaient tombés. Mais dans le cœur de Sir Richard Bolitho et dans celui de son fidèle maître d’hôtel, John Allday, ils vivaient toujours. Ils y étaient. Ils n’oublieraient jamais.

Bolitho s’arrêta au niveau de la Larne, un brick de quatorze canons, qui se trouvait en contrebas. Elle semblait petite, bien trop petite pour affronter le grand large ; mais lorsque Tyacke, contre toute raison et toute expérience, avait persisté et continué à rechercher leur petite chaloupe après le naufrage du Pluvier Doré, la Larne, tel un géant, avait fendu les lames.

Bolitho aperçut un piquet de fusiliers sur la jetée. Il devait s’assurer que nul ne déserterait, pas même des hommes qui n’avaient pas revu leur foyer depuis des mois ou des années. C’était insultant. James Tyacke était un commandant qui n’aurait jamais à porter déserteur en face du nom d’un marin.

— Vous savez ce que vous avez à faire, dit Bolitho.

Il s’exprimait plus sèchement qu’il n’aurait voulu, mais Avery en eut à peine conscience. Il connaissait les ordres écrits que Bolitho avait dictés à Yovell, son secrétaire. Cela aussi, c’était un secret, comme si Bolitho n’était pas sûr d’avoir arrêté sa décision. C’est donc qu’il hésitait encore.

Avery lui jeta un coup d’œil. Pas sûr de lui ? Après tout ce qu’il avait accompli, cela semblait impossible.

— Prenez vos dispositions pour un départ tôt demain matin, poursuivit Bolitho. Nous passerons la nuit ici.

— Le Lion d’Or, sir Richard ?

Bolitho avait les yeux perdus, la rade de Plymouth se reflétait dans ses prunelles, et Avery craignit de l’avoir blessé.

— Je… je voulais simplement dire…

De manière assez inattendue, Bolitho lui fit un sourire en lui prenant le bras. La manche de son manteau était trempée.

— Je sais. J’ai la tête ailleurs, aujourd’hui – il se tourna vers la ville : Non, je préférerais un autre endroit.

Il revoyait soudain Catherine. Et leur étreinte, avant son départ pour Plymouth. Elle devait être en route pour Londres, à cette heure-ci, pour Chelsea. Elle lui avait fait découvrir son Londres à elle. Comme tout ce qu’elle lui avait donné, tout ce à quoi ils devraient renoncer quand il reprendrait la mer.

Il s’était rarement senti ainsi. Chaque jour était pareil à une aube nouvelle et même s’ils savaient tous deux qu’ils seraient bientôt séparés, ils avaient du mal à y songer.

Il vit Avery s’éloigner pour regagner la voiture qui attendait. Son épaule trop basse, ses mouvements un peu raides, cela l’émouvait. Qui sont-ils, ces hommes, Kate ? Si seulement l’Angleterre voyait ses enfants. Et, couvrant le bruit du vent qui faisait vibrer les drisses et le gréement incomplet de la Larne, il entendait sa voix dans sa tête. Ne me quitte pas !

Il y eut des cris et Bolitho vit que les fusiliers du piquet le surveillaient, un peu nerveux. Une silhouette charpentée apparut sur le pont, en uniforme de lieutenant de vaisseau, mais sans coiffure. L’officier fit dégager les marins et les ouvriers du chantier avant de hurler :

— La garde à la coupée, bande d’incapables ! Mais pourquoi ne m’a-t-on pas prévenu ?

Bolitho posa le pied sur le pont et agita sa coiffure en direction de la petite dunette.

— Cela me fait bien plaisir de vous revoir, monsieur Ozanne ! Toujours autant de voix !

Puis il rabattit un pan de son manteau sur l’épaule pour découvrir une épaulette ornée de deux étoiles d’argent.

Les ouvriers de l’arsenal n’en revenaient pas, mais quelques marins poussèrent des vivats. Comme de vieux amis qui se retrouvent.

Ozanne était originaire des îles Anglo-Normandes et avait d’abord navigué au commerce. Excellent officier en dépit de ses manières rudes, il était vieux pour son grade et de cinq ans plus âgé que son commandant.

Bolitho lui serra la main.

— Alors, Londres, comment était-ce ?

La figure d’Ozanne s’épanouit, mais il avait le regard las.

— J’oubliais, sir Richard. Le commandant Adam est ici. Et l’Anémone est par là-bas – il réfléchit à la question : Je ne me suis pas éternisé, mais ils avaient l’air contents de recevoir les dépêches – il secoua sa grosse tête : Dites-moi, sir Richard, à l’Amirauté, ils passent toujours leur temps à courir dans tous les sens ?

Bolitho souriait. La famille.

— Oui, c’est assez habituel ! – et, redevenant sérieux : Le commandant est-il à bord ?

— Je vais l’appeler.

— Non, monsieur Ozanne, je connais le chemin.

Il se disait que James Tyacke savait qu’il était là. Il contempla la coque élancée avec ses volées noires, les affûts peints en jaune qui attendaient sous des toiles pour les protéger des avanies du carénage. La Larne. Le bâtiment de Tyacke. Sous mes ordres. Il emprunta la descente et, baissant la tête pour éviter les barrots, se dirigea vers la chambre de poupe.

Il sentait des odeurs familières que même l’arsenal ne parvenait pas à effacer. Peinture, goudron, chanvre, senteurs d’humanité entassée. Il n’était pas à bord d’un quelconque brick mené à la dure. Tyacke avait surmonté sa terrible blessure pour faire de ce bâtiment ce qu’il était devenu, et ce qu’il avait accompli. Le démon à la moitié défiguré.

Accepterait-il de recommencer ? Oserait-il seulement le lui demander ?

Tyacke se tenait devant les fenêtres de poupe inclinées, les épaules courbées sous les barrots de sa chambre minuscule, qui occupait pourtant toute la largeur du château. Son visage était plongé dans l’ombre.

— Bienvenue à bord, amiral.

Il allait se saisir de sa vareuse avec son épaulette unique, mais Bolitho lui dit :

— Non, je suis à bord sans y avoir été invité.

Il se débarrassa de son manteau de mer avant d’accrocher sa vareuse sur le dossier d’un fauteuil.

— Pour une fois, parlons entre hommes, tout simplement.

Tyacke s’approcha d’un équipet dont il sortit une bouteille et deux verres.

— Récupéré à bord d’un contrebandier, amiral. Apparemment, c’est du bon.

Lorsqu’il se retourna, la lumière réfléchie par la surface de l’eau éclaira la moitié gauche de sa figure. Comme Avery il avait des traits bien marqués, et ses yeux étaient cernés de pattes-d’oie, résultat de toutes ces années passées à la mer sur tant d’océans.

L’autre moitié de sa figure était si brûlée qu’elle n’était presque plus humaine. Seul son œil avait résisté, un œil du même bleu que ceux de Herrick. Ses cheveux rebelles n’y avaient pas non plus échappé. Avant, ils avaient dû être aussi noirs que ceux de Bolitho, mais ils étaient maintenant poivrés de gris. Et au-dessus des brûlures, ils avaient complètement blanchi, comme la mèche qui recouvrait la cicatrice que portait Bolitho, cette mèche qu’il détestait tant.

Cela s’était passé à bord du Majestic, au combat d’Aboukir, comme on l’appelait désormais. Tyacke se trouvait dans la batterie basse lorsque l’enfer avait explosé autour de lui. Il n’avait jamais su ce qui avait causé cette explosion, tous les canonniers de sa division avaient été tués. Même le brave Westcott, commandant du Majestic, était mort au cours de cette terrible journée.

Le cognac était fort et vous enflammait la bouche. Ils choquèrent leurs verres et Tyacke dit :

— Un ennemi qui en veut et de l’eau pour manœuvrer, voilà tout ce que je demande, amiral !

Cela faisait un effet bizarre, trinquer ainsi dans un chantier. On entendait des piétinements sur la dunette, à quelques pouces seulement au-dessus, des glènes de cordages que l’on traînait sur le pont avant de les hisser dans la mâture pour les gréeurs.

Tyacke l’observa tranquillement, puis se décida avec une détermination qui avait quelque chose de physique.

— On va m’enlever mon bâtiment, c’est cela, amiral ?

Il avait dit cela très simplement, mais c’était à vous fendre le cœur. Il regardait les ombres comme pour éviter la pâle lumière du soleil qui filtrait par la claire-voie. Tant de choses s’étaient passées ici. Tant de décisions y avaient été prises, qui en avaient anéanti certains, peut-être, alors qu’ils se retrouvaient seuls face au vaste océan. Mais pas cet homme.

— On m’a indiqué, répondit Bolitho, que la Larne allait retourner croiser sur les côtes d’Afrique pour lutter contre le trafic d’esclaves. On m’a assuré que pas un membre de votre équipage ne serait débarqué pour servir sur d’autres bâtiments. Je peux obtenir l’engagement écrit du major-général, si vous le souhaitez.

Tyacke contemplait son gros coffre de mer. Bolitho se demanda si la robe y était toujours serrée, celle qu’il avait offerte à Catherine après les avoir sauvés, pour cacher sa nudité aux regards des marins qui l’observaient.

— Je préférerais, amiral. Je n’ai aucune raison de faire confiance à un major-général.

Il leva les yeux, un peu gêné.

— Je viens de dire une chose stupide. Je vous demande pardon, amiral !

— J’ai commandé une frégate, dans le temps.

Comment cela pouvait-il autant l’atteindre, après toutes ces années ? J’ai commandé.

— Je me souviens trop bien de ces bons marins qu’on m’enlevait, pour les remplacer par du gibier de potence.

Tyacke but une gorgée et attendit la suite.

— Je ne me sens pas le droit de vous le demander, reprit Bolitho, mais…

Il s’interrompit en entendant un choc sourd sur le pont, suivi immédiatement par les hurlements d’Ozanne, puis par des éclats de rire. Entendre les gens rire à bord d’un vaisseau du roi était une chose trop rare. Comment faire pour lui poser la question ?

Tyacke restait immobile devant les vitres en verre épais.

— Mais vous allez me le demander, amiral.

Il se pencha en avant, éclairant ainsi son visage.

— Les grades n’ont rien à voir à l’affaire.

— Non, rien à voir, répondit Bolitho. Nous avons accompli trop de choses ensemble. Et lorsque vous nous avez arrachés à la mer, je suis devenu votre débiteur, et de beaucoup.

Il pensait à elle, dans cette chaloupe qui bouchonnait, son habit de marin plaqué contre son corps, alors qu’ils affrontaient ensemble l’océan et la perspective d’une mort imminente.

Il s’entendit qui disait doucement :

— Je veux vous obtenir une promotion…

Il hésita, cela ne venait pas.

— Et je souhaite que vous soyez mon capitaine de pavillon. Je n’en veux aucun autre. Tu as besoin de lui, tu en as besoin. Dis-le-lui… – ses mots résonnaient dans la chambre : C’est ce que je suis venu vous demander.

Tyacke le regarda droit dans les yeux.

— Je ne voudrais servir personne d’autre, amiral. Mais…

Il hocha la tête.

— Oui, ce mais dit tout ce que j’ai à dire. Sans la confiance que vous m’avez accordée, j’aurais fini par m’apitoyer sur moi-même. Mais sans la liberté dont je jouis à bord de ce bâtiment – sans la Larne – non, ce choix m’est trop difficile.

Bolitho prit son manteau. Avery devait le chercher. Autant ne pas le mêler à ça, cela n’aurait servi qu’à le blesser.

Il se leva et tendit la main à Tyacke.

— Je dois aller faire visite au major-général.

Il le regardait fixement, il savait qu’il n’oublierait jamais ce moment.

— Vous êtes mon ami, vous êtes aussi l’ami de Lady Catherine, et il en sera toujours ainsi. Je vais demander qu’on laisse vos hommes descendre à terre par bordée.

Il sentit une poigne vigoureuse, et Tyacke qui lui parlait d’une voix émue. Tout était fini.

 

Le lieutenant de vaisseau George Avery descendit de voiture pour se retrouver sous un fin crachin qui arrosait les fanaux et son visage.

— Attendez ici… je n’en ai pas pour longtemps. Puis vous nous conduirez à la Tête de Sanglier.

Tout ceci avait pris plus de temps qu’il ne l’aurait pensé, ou était-ce la nuit qui tombait plus tôt que d’habitude. Il enfonça sa coiffure sur son front et remonta le col de son manteau de mer. Son estomac commençait à crier famine, et il se dit qu’il n’avait rien avalé depuis le petit déjeuner pris à la va-vite dans quelque auberge au bord de la route.

Les eaux de la Hamoaze, au-delà de l’arsenal, étaient couvertes de feux de mouillage qui faisaient comme des lucioles sur leurs reflets. Tout autour, de petites embarcations jetaient des ombres, canots majors embarquant et débarquant des officiers, canot de rade montant la garde, l’agitation ininterrompue d’un port très actif.

Ici, le long du mur, il y avait d’autres lumières ; les fanaux de coupée, là où un novice, un étourdi ou un homme qui aurait trop bu aurait risqué de se prendre les pieds dans un anneau ou dans du matériel de chantier et de passer par-dessus bord.

Il aperçut les deux mâts nus du brick qui se dressaient plus haut maintenant, avec le flot. Il voyait des silhouettes à la porte de coupée, un lieutenant de vaisseau dont la vareuse portait des parements de col blancs : sans doute la garde qui se rassemblait pour rendre les honneurs au vice-amiral qui allait redescendre à terre.

De quoi avaient-ils parlé, il l’ignorait. Du bon vieux temps peut-être, de leur sauvetage après le naufrage qu’Allday lui avait raconté. Pauvre Allday ; ce voyage devait l’inquiéter et le mettre hors de lui. Ne pas être là où il aurait dû être, comme il aurait dit.

Avery reconnut cet officier solidement bâti. Paul Ozanne, le second de la Larne.

— Je suis en retard, monsieur Ozanne. J’espère que Sir Richard n’est pas trop fâché.

Lui prenant le bras, Ozanne le conduisit à l’arrière. La claire-voie était plongée dans l’ombre, à l’exception d’une unique chandelle.

Ozanne lui répondit d’un ton bourru :

— Sir Richard est parti depuis longtemps. Il a demandé de vous prévenir qu’il se rendait à la résidence du major-général.

Avery se raidit. Quelque chose n’allait pas. Pas du tout. Sans cela…

— Que s’est-il passé ?

Ozanne devait le savoir. Mieux que personne, il comprenait son commandant qui était son compagnon, son ami, même.

— Il est en bas en train de boire. Jamais vu comme ça, c’est pire que tout. Pas moyen de lui arracher un mot. Je suis vraiment inquiet.

Avery revoyait l’expression de Bolitho lorsqu’il était monté à bord. Anxieux, désespéré, rien à voir avec celui qu’il avait connu à la mer ou chez lui, à Falmouth.

— Puis-je lui dire un mot ?

Il s’attendait à un refus sans nuance. Au lieu de cela, Ozanne lui dit d’un ton bref :

— Je vous en serais reconnaissant, mais faites attention où vous mettez les pieds. Ça risque de tanguer sec.

Avery fit signe qu’il avait compris. Allday lui avait déjà fait ce genre de mise en garde.

Il faisait si sombre dans l’entrepont qu’il manqua tomber. La Larne était minuscule et exiguë lorsque l’on sortait d’une frégate, surtout après ce vieux Canopus à bord duquel il était embarqué lorsque Sillitœ lui avait écrit pour lui annoncer qu’il pouvait peut-être lui obtenir une position d’aide de camp.

— Qui est là ? Allez-vous-en !

— C’est Avery, commandant. L’aide de camp !

Il aperçut une bougie qui vacillait, le visage défiguré de Tyacke qui se détournait pour attraper une bouteille.

— C’est lui qui vous envoie, c’est ça ?

Il avait l’air furieux, presque menaçant. Avery lui répondit :

— Je pensais que Sir Richard se trouvait à bord, commandant.

— Eh bien, nom de dieu, vous voyez bien qu’il n’y est pas, alors fichez-moi le camp !

Puis, changeant brusquement de ton :

— Ce n’est pas votre faute. C’est la faute à personne. C’est cette foutue guerre, et tout le mal qu’elle nous a fait.

Il marmonna quelque chose en ouvrant la bouteille et remplit un second verre en faisant des éclaboussures sur la table. Avery sentit l’odeur du liquide et songea à son estomac vide.

— J’ai bien peur que ce ne soit que du genièvre. J’ai épuisé le cognac – il fit un vague geste : Bougez-vous. Je vous vois pas bien d’ici.

Avery se leva en restant courbé à cause des barrots. Pauvre vieux, il ne veut pas que je voie ce côté de sa figure.

Tyacke reprit d’une voix pâteuse :

— Vous boitez. Bien sûr, j’avais oublié. Vous aussi, vous avez été blessé, n’est-ce pas ? Et vous êtes passé en conseil de guerre – il répéta : Mais ce n’est pas votre faute.

— Que puis-je faire pour vous, commandant ?

Mais Tyacke semblait ne pas l’entendre.

— On fait une jolie bande à nous tous, hein ? J’ai aperçu son maître d’hôtel Allday, c’est ça ?

Avery se contenta d’acquiescer, tant il avait peur de l’interrompre.

— Je l’ai surpris plusieurs fois, quand il croyait que Sir Richard ne le voyait pas, il lui arrivait de se tenir la poitrine, il arrivait à peine à respirer à cause de cette blessure que lui ont faite les Espagnols.

Sa voix était plus sourde et Avery imaginait Ozanne penché sur la claire-voie qui écoutait, plein d’espoir.

— Et puis il y a aussi son vieil ami, le contre-amiral Herrick.

Étonnamment, il était devenu plus amer.

— Et voilà qu’avec toutes ses bêtises, il a perdu un bras !

Il vida un verre en tremblant presque.

— Faut croire que Sir Richard adore aider les canards boiteux.

— C’est un homme généreux, commandant. Je ne permettrai pas qu’on dise du mal de lui !

Tyacke bondit sur ses pieds. Il empoigna Avery par le col et le renversa sur la table, son visage à quelques centimètres du sien.

— Bien sûr, que c’est un homme bien ! Bon sang de bois, ce n’est quand même pas vous qui allez m’apprendre ce que je dois dire ou penser !

Avery n’essaya même pas de bouger pour se dégager. Il avait devant lui, à deux doigts, le visage blessé de Tyacke, cet œil bleu qui brillait à la lueur de la bougie, rempli de douleur. Mais, pis encore, on voyait des larmes rouler sur la peau tuméfiée.

Tyacke le secouait doucement.

— Regardez-moi. Mais… regardez… moi.

Avery lui répondit :

— Racontez-moi, commandant.

Ozanne pouvait arriver d’un moment à l’autre, et il serait alors trop tard.

Tyacke lâcha sa prise et lui donna une tape sur le bras avant de se laisser retomber lourdement sur son siège. D’une voix neutre, impersonnelle, il lui dit :

— Il m’a demandé d’être son capitaine de pavillon – il hocha la tête en riant silencieusement : Vous vous imaginez ça, mon vieux ? Comment pourrais-je accepter ?

— Vous croyez que c’est pitié de sa part ? Il ne se permettrait jamais de faire courir un risque à ses gens, même au profit d’un ami très cher.

Il se tut, s’attendant à une nouvelle explosion. Mais Tyacke était redevenu très calme, sauf qu’il soufflait bruyamment et que l’on voyait des ombres jouer sur sa figure.

Avery se souvenait de ce qui avait amené Allday à lui confier, désespéré, que Bolitho avait un œil malade. Il se souvenait de la fierté qu’il en avait ressentie, d’être admis à partager ce secret. Le confier maintenant à quelqu’un d’autre lui aurait paru trahir.

Mais il avait le cœur serré dans une griffe qui ne voulait pas le lâcher. Il y avait tant de choses en jeu. Trop de choses. Il commença :

— Vous parliez de vos malheurs, à l’instant…

Tyacke secoua la tête :

— Je ne voulais pas manquer de considération à votre égard.

— Je ne l’avais pas compris ainsi – il but son gin âcre et dit : Nous ne sommes pas les seuls.

— Bon sang, mais je le sais bien !

Avery se tut. Tyacke se pencha vers lui et, l’espace d’un instant, l’aide de camp crut qu’il était allé trop loin. Puis il dit, d’une voix presque inaudible :

— Pas Sir Richard ? Vous ne voulez sûrement pas parler de lui ?

Avery se leva lentement.

— Il perd la vue d’un œil.

Tyacke porta la main à sa figure, comme il l’avait sans doute fait lorsqu’on lui avait définitivement ôté ses pansements. C’était miracle qu’il n’ait pas perdu son œil.

— Il ne m’en a pas parlé.

Avery aurait bien aimé rester, mais il savait qu’il devait se retirer.

— C’est un homme qui vous ressemble énormément, commandant. Et, plus que tout, il a sa fierté. Vous voyez, il ne s’agissait pas de pitié.

Il entendit la respiration bruyante d’Ozanne dans la coursive.

— Il a besoin de vous, maintenant plus que jamais. Vous auriez voulu qu’il vous supplie ?

Il croisa Ozanne, qu’on sentait fort soulagé car il craignait que Tyacke ne le convoque une fois encore et que tout recommence. Il savait que cela le rendrait malade.

Avery regagna sa voiture et réussit à ordonner dans un souffle :

— La résidence du major-général, je vous prie !

Dans la petite chambre, le lieutenant de vaisseau Ozanne observait Tyacke qui essayait de refaire le plein de son verre. Il lui demanda d’un ton sinistre :

— Que s’est-il passé ?

Tyacke leva la tête et s’essuya les yeux d’un revers de manche.

— C’est un secret, Paul. Si je vous le dis, ce n’en sera plus un.

Il avait la voix pâteuse.

La bouteille roula sur le pont et Tyacke en aurait fait autant si son second ne l’avait pas rattrapé d’une poigne vigoureuse.

— Je ne sais pas qui vous a dit quoi, James Tyacke, mais je commence sérieusement à me faire du souci pour vous !

Il poussa un grand soupir et souffla la chandelle.

Puis, la vareuse de Tyacke sur le bras, il sortit. On entendait la pluie tomber dans la descente.

Ozanne, qui était en mer depuis son plus jeune âge, passa un long moment à observer et à écouter la bordée de repos qui prenait son souper dans l’entrepont bondé de monde. Les hommes devaient discuter de cette permission de descente à terre. Pareille générosité était du jamais vu.

Ozanne effleura l’épaulette dorée sur la vareuse de Tyacke et dit à voix haute : « Je pense que nous allons vous perdre, James, et nous en serons plus pauvres. »

Plus tard, il se rendit compte qu’il avait parlé à tout le bâtiment – et pour tout le bâtiment.

 

Le vice-amiral Sir Graham Bethune traversa l’épais tapis en arborant un large sourire et s’empara de la main de Bolitho.

— Mon Dieu, sir Richard, vous me remplissez le cœur de joie quand je vous trouve en si belle forme et si reposé ! Je dois vous avouer que j’étais un peu tendu à l’idée de vous voir pour la première fois depuis ma nomination. J’ai du mal à oublier ces jours si anciens, lorsque j’étais un aspirant qui bafouillait et que vous étiez mon commandant.

Sa poignée de main et son sourire sont sincères, se dit Bolitho. Bethune n’était pas exactement comme il se l’était imaginé, et il était vrai qu’il ne l’avait pas revu depuis l’époque de son premier commandement, la corvette Hirondelle, en 1782. Une éternité.

L’aspirant à la bonne bouille couverte de taches de rousseur foncées avait vécu. Au lieu de cela, il avait en face de lui un amiral qui devait avoir la quarantaine passée, mais paraissait bien plus jeune. L’œil vif, svelte, plein d’assurance, rien à voir avec tant d’officiers qui avaient traîné dans les salons de l’Amirauté. Il avait toujours ce même sourire contagieux, mais il avait gagné en confiance en soi et en autorité. Bolitho songea qu’il ne devait pas laisser insensibles les dames de la Cour ni les invités des nombreuses réceptions auxquelles l’appellerait désormais sa nouvelle position.

Bolitho en ressentait une certaine jalousie et s’en voulait de sa vanité. Il avait suivi de temps à autre dans la Gazette la célébrité croissante de Bethune. L’événement déterminant avait été le combat qu’il avait mené alors qu’il commandait un petit sixième rang de trente-six canons. Naviguant seul, il était tombé sur deux grosses frégates espagnoles dont chacune aurait pu le battre. Au lieu de cela, après un engagement épique, Bethune avait contraint la première à s’échouer et s’était emparé de la seconde, pratiquement sans avoir perdu un homme.

Bethune reprit :

— Si cela vous convient, j’organiserai une réunion après-demain. Je crois qu’il serait stupide d’attendre encore.

Il lui indiqua un siège :

— Je voulais vous voir d’abord. Pour me préparer. Il y a de nombreux changements ici, ils sont inévitables. Mais je suis sûr que vous en êtes parfaitement informé.

Un domestique entra avec du vin et des verres. Lui aussi ne ressemblait pas à ceux de Godschale ou de Hamett-Parker.

Bethune jouait négligemment avec ses boutons.

— Comment va votre épouse ? Bien, j’imagine ?

Bolitho se détendit un peu. Il voulait peut-être l’éprouver, comme lorsque l’on tire un coup de réglage avant de décider de la manœuvre suivante.

— Lady Catherine se porte au mieux, merci. Je dois la retrouver très bientôt à Chelsea.

Juste un petit essai, rien de plus.

Bethune hocha la tête :

— Je serais très heureux de la rencontrer.

Bolitho revoyait Godschale, assis à cette même table, se Lamentant sur le poids de ses responsabilités tout en goupillant sans doute sa prochaine aventure avec la jeune femme de l’un de ses subordonnés. Ses appétits avaient fini par causer sa perte.

Il examinait maintenant son ancien aspirant d’un œil nouveau. Beau garçon, avec cette touche d’insouciance qu’apprécient certaines femmes. Il était marié, mais peut-être cachait-il une maîtresse quelque part.

Le domestique les servit. Un vin du Rhin très frais, désaltérant après tous ces milles, ces changements de chevaux dans des auberges qui se ressemblaient toutes. Il se demandait si ce vin ne venait pas de la boutique dans St James’s Street où Catherine l’avait déjà emmené.

Bethune reprit :

— J’ai lu toutes vos lettres et toutes vos dépêches, en particulier ce que vous dites des opérations de blocus et de la protection des routes maritimes. Naturellement, sir Richard, vous êtes dans le vrai.

Encore ce sourire contagieux, celui d’un lieutenant de vaisseau qui aurait voulu jouer les vice-amiraux.

— Mais c’est à vous qu’il appartiendra de convaincre Leurs Seigneuries.

Bolitho songeait à Tyacke et aux mots qu’avait employés Catherine lorsqu’il lui avait fait part de ses intentions. Il en avait encore lourd sur le cœur. C’est elle qui avait eu raison.

— J’ai de bonnes nouvelles de votre ami, votre ancien capitaine de pavillon, Valentine Keen.

Bolitho espérait que Bethune n’avait pas noté son mouvement de surprise. C’était comme s’il lisait dans ses pensées.

— Il va être promu contre-amiral, et il l’a largement mérité, comme vous le souligniez vous-même dans votre rapport.

Bolitho détourna les yeux. Il se souvenait de Hamett-Parker, de l’hostilité que soulevait chez lui cette suggestion, mais, maintenant que Keen était officier général, et grâce à ses seuls mérites, il se rappelait la confession désespérée d’Adam, à Falmouth, au coin du feu. Zénoria, femme d’un officier général ? Voilà qui dépassait l’imagination. La fille aux yeux d’or allait être submergée, anéantie, dans un monde qu’elle ne comprendrait jamais et dont elle ne ferait jamais partie. Il ne fallait pas non plus que cela démolisse Adam.

Bethune reprit un autre grand verre de vin.

— Je note avec intérêt vos convictions au sujet des États-Unis. A propos, votre adversaire, le capitaine de vaisseau Nathan Beer, j’ai appris qu’il venait d’être promu commodore.

Bolitho revoyait ces instants terribles, les éclis plantés dans sa figure comme des aiguilles, Herrick qui arrivait en vacillant sur le pont avec son moignon sanguinolent, qui relevait de son commandement le commandant de la Walkyrie et prenait en main les opérations.

Il répondit sèchement :

— La prochaine fois que nous nous rencontrerons, j’en ferai un amiral !

Sa remarque réjouit Bethune qui lui demanda lentement :

— Croyez-vous que nous aurons la guerre ?

— J’en suis convaincu. Si vous me permettez de vous expliquer…

Bethune lui sourit.

— Non, pas à moi, sir Richard. J’en suis tout aussi convaincu. Les autres seront plus intéressés par les dépenses que par la probabilité de la chose.

Bolitho songeait à Catherine. Elle devait être arrivée à Chelsea, ou en être tout près. Juste avant son départ pour Plymouth, elle avait fait allusion au médecin de Londres : « Cela ne te ferait pas de mal. Il serait peut-être même capable de te soulager. »

Bethune lui demanda brusquement :

— Votre œil vous gêne-t-il ?

Il prit alors conscience qu’il l’avait frotté.

— Un coup de froid, j’imagine.

— Oui, répondit Bethune d’un ton désinvolte, c’est vrai, vous arrivez de Cornouailles et c’est bien possible.

Il était lui-même cornouaillais. Bolitho se souvenait qu’il le lui avait dit lorsqu’il avait pris le commandement de L’Hirondelle. Mais maintenant, il avait du mal à l’imaginer en Cornouailles.

Cela dit, il était perspicace, très perspicace. Mieux valait ne pas l’informer de sa blessure. Bethune poursuivit :

— Le choix qui est le vôtre, pour votre vaisseau amiral, L’Indomptable, m’a légèrement surpris, même si je devine vos raisons. Mais certains de mes supérieurs pourraient être d’un autre avis, ou souligner que vous avez un sérieux penchant pour les vieilles coques.

Bolitho sentait le mépris qu’il éprouvait pour les « supérieurs » en question.

Bethune ajouta :

— Vous avez mon soutien, mais je préférais que vous le sachiez. Je vais souligner que deux autres vieux vaisseaux, le Victory et l’Hypérion, sont entrés dans l’histoire !

Un domestique fit son apparition, l’air nerveux.

— L’aide de camp de Sir Richard Bolitho est dans l’antichambre, sir Graham…

Bethune esquissa un sourire.

— Un homme bien courageux, pour oser s’aventurer chez des officiers généraux – puis, s’adressant tout particulièrement à Bolitho : Et chez des amis.

Bolitho se leva alors qu’Avery faisait son entrée dans le vaste bureau, son bicorne sous le bras.

Était-il arrivé quelque chose de fâcheux ? Avery avait-il trouvé déserte la maison de Chelsea ?

Avery salua Bethune du menton, mais Bolitho surprit son expression, mélange de méfiance et de curiosité aiguë. Cet homme ne ressemblait pas au malheureux Jenour, il ne tenait jamais rien pour acquis. Il lui dit :

— Une lettre par courrier rapide, amiral – leurs regards se croisèrent : elle vient de Plymouth.

Bolitho la lui prit, bien conscient de ce que Bethune l’observait.

Le billet, avec son écriture penchée de la main de Tyacke, était net et sans fioritures.

« Tout l’honneur est pour moi. Il ne s’agit pas seulement de loyauté.

« J’attends vos ordres. »

 

Il avait griffonné sa signature au bas du feuillet, une signature à peine lisible.

Bolitho jeta un coup d’œil à Avery, mais le lieutenant de vaisseau restait impénétrable. Puis il approcha la feuille de ses narines, il revoyait la petite chambre comme elle était lorsqu’il avait quitté Plymouth, voilà seulement quelques jours.

Bethune souriait :

— Un parfum, sir Richard ? Oserai-je vous demander ?

Bolitho hocha négativement la tête. C’était l’odeur du cognac.

— Avec votre permission, sir Graham, je vais vous dire quelque chose.

On avait rempli les verres et on en avait donné un à Avery. Bethune répondit :

— Je suis tout ouïe !

Bolitho sentait que son œil le piquait, mais ce n’était plus sa blessure, non, c’était autre chose.

— À l’homme le plus courageux que j’aie jamais connu.

Ils choquèrent leurs verres, Avery le regardait. Un secret de plus entre eux.

Bolitho sourit à son tour, pour la première fois depuis qu’il était là. Ils étaient parés.

— Au travail !

 

Au nom de la liberté
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